Agir sur les drogues au travail consiste aujourd'hui non pas à identifier et analyser les consommations de substances psychoactives comme «situations-problèmes», mais à organiser l’interdiction ou à gérer les incapacités et les troubles du comportement individuel. Les recommandations en prévention sont construites dans une perspective unique, les usages d’alcool ou de drogues seraient toujours à risque et l'abstinence serait synonyme de santé. L’ambivalence des consommations, le fait qu'elles puissent être aussi des ressources, est rarement décrite et analysée. Pour la première fois en France, un congrès Addiction et Travail, qui a lieu lundi et mardi au Beffroi de Montrouge, propose de changer de regard sur les interrelations travail, usages de substances psychoactives et méthodes de prévention. Interview avec Gladys Lutz, présidente d'Additra et chercheuse pour le projet PrevDrog-pro qui sera présenté lors du colloque.
De manière implicite, dépister sous entend que l'usage de produits au travail est toujours à risque et que le non usage est sans risque. Ce que l'ont sait est plus complexe, du point de vue du travail réel : à l'instant T la consommation peut être à risque, mais à T+1 elle peut être régulatrice. Des études sur la consommation d'alcool dans des postes isolés de contrôle dans des centrales nucléaires, c’est à dire dans des postes à responsabilité, montrent que du point de vue des sujets, cet usage d'alcool permettait de se détendre du stress ou de l'ennui, et d'avoir de l'acuité en terme de concentration. Surtout chez ces experts, il y avait besoin d’une écoute flottante mais hyperactive, et les consommations d'alcool permettaient de supprimer tout le bruit, le stress et l'ennui qui deviennent un bruit.
Le dépistage doit rester une aide à la décision, un déclencheur du dialogue, pas une fin en soit. Certains médecins du travail ont sur leur table des tests dont ils se servent pour poser une question. Soit ils font passer le test soit non, mais leur idée, c'est qu'il faut pouvoir évoquer les choses. Le soucis, ce sont les systèmes qui se rigidifient et qui demandent au médecin d'utiliser les tests comme un couperet : si il est positif, c’est l’exclusion. Au lieu d'éclairer une situation, le résultat la masque, cache ce qui fait problème, empêche toute parole sur ce qui se passe, sur ce que les gens vivent à leur travail, ce qui est précisément le but des médecins du travail.