Le projet de loi Santé fait monter la pression sur le marché des medtechs. Le potentiel est vertigineux : sur 400 millions de consultations annuelles, seules 1 à 2 % se font aujourd’hui à distance.
Séance de téléconsultation d’Axa. Depuis le lancement de ce service en 2015, remboursé par la Sécurité sociale depuis le 15 septembre 2018, le leader de l’assurance en France a atteint un rythme de croisière de 20.000 rendez-vous annuels.
MARC BERTRAND/CHALLENGES
Pour la télémédecine en France, le temps des atermoiements s’achève. Place aux grandes manoeuvres ! Le 19 mars, la plateforme tricolore MédecinDirect a été rachetée par l’Américain Teladoc Health (voir encadré ci-dessous). Le même jour, Hellocare, autre medtech, levait 2 millions d’euros pour renforcer, notamment, son nouveau cabinet médical virtuel à destination des professionnels de santé libéraux. Le lendemain, c’est Doctolib, le pape de la prise de rendez-vous médicaux, entré en fanfare en janvier dans la téléconsultation, qui levait 150 millions pour épauler sa croissance sur ce métier (voir encadré ci-dessous).
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Remède économe
Pourquoi tant d’agitation ? Tous ces acteurs veulent profiter de la volonté et politique gouvernementale d’améliorer l’accès aux soins grâce aux nouvelles technologies. Ainsi, le projet de loi Santé, voté ce mardi 26 mars par les députés en première lecture, fait la part belle à la "transformation numérique du système de santé". En tête, la relance du dossier médical digital - une arlésienne qui dure depuis 2004 - et l’essor de l’e-santé, des médecins aux professions paramédicales (infirmiers, pharmaciens). Un remède miracle pour pallier les déserts médicaux, désengorger les urgences et faciliter l’accès aux soins… tout en réalisant des économies. Une étude des industriels du Leem/LaJaPF et du cabinet Iqvia publiée fin 2018 estime en effet que la télémédecine réduirait de 6 à 21 % le coût de la prise en charge de patients atteints de maladies chroniques. La télésurveillance de la prise en charge de l’hypertension artérielle permettrait d’économiser 322 millions par an. Pour le cancer de la prostate, la téléconsultation réduirait les dépenses de 26,3 millions chaque année.
De quoi faire réfléchir. "La télémédecine aura lieu parce que tout le parcours de santé évolue vers le patient et son accès aux soins, affirme Jorg Ohleyer, associé chez Kea & Partners. Le débat “la télémédecine, ce n’est pas de la médecine” devient un combat d’arrière-garde." François Lescure, cofondateur de MédecinDirect, insiste : "Opposer la télémédecine à la médecine, c’est comparer le smartphone au fixe : l’un ne remplace pas l’autre. Il se passe dans la médecine la même chose que dans d’autres secteurs passés par la digitalisation telle la banque. On règle les opérations courantes à distance, on va en agence pour les opérations plus importantes."
Système très encadré
Etape clé de cette mutation du parcours de soins : la Sécurité sociale rembourse depuis le 15 septembre 2018 les téléconsultations médicales. Certes, le système reste aujourd’hui très encadré : l’Assurance maladie ne prend en compte la demande qu’à la condition qu’un premier rendez-vous ait eu lieu en présence du patient avec le médecin traitant. Mais ce que d’aucuns voient comme la boîte de Pandore est ouverte. Pour Jorg Ohleyer, cela a en plus le mérite de secouer le cocotier : "La télémédecine libère un secteur englué dans les corporatismes. Pour ne pas être marginalisé, chaque acteur va devoir se positionner : médecins, pharmacies, grossistes répartiteurs… Idem pour l’investisseur qui se dit, à juste titre, que tout est verrouillé depuis des années en France. Là, les opportunités sont multiples : regroupements, rachats, l’entrée d’acteurs étrangers…"
Les fondamentaux du marché sont porteurs, sur fond de pénurie de médecins, de vieillissement de la population et d’explosion des maladies chroniques. Le public, également, est prêt : selon un sondage Harris Interactive pour la plateforme Livi, 63 % des Français jugent que la téléconsultation améliorera le fonctionnement du système de santé et 81 % qu’elle permettra de consulter un médecin plus facilement. Un quasi-plébiscite, même si 29 % d’entre eux redoutent aussi d’être moins bien pris en charge.
Nettoyage du marché
Les assureurs et mutuelles n’ont pas attendu ces signaux, ni même le coup de pouce de la Sécu, pour creuser le filon. Dès 2015, Axa a proposé à ses assurés une téléconsultation qui, en trois ans, a atteint un rythme de croisière de 20.000 rendez-vous annuels. Santéclair, VYV ou April Santé Prévoyance ont vite suivi. "Le choix de rembourser va être un catalyseur évident", estime Jorg Ohleyer. Aujourd’hui, une quarantaine de plateformes se battent pour avoir leur part du gâteau. En vain ? "Certains acteurs, qui se sont précipités dans l’espoir d’un retour rapide sur investissement, ne pourront assumer les efforts financiers et humains nécessaires à leur développement, prédit Arnault Billy, directeur général de Docavenue, le service de téléconsultation de l’éditeur de logiciels Cegedim. D’ici deux ans, il y aura un nettoyage, comme cela est arrivé pour la prise de rendez-vous médicaux en ligne."
En attendant ce grand ménage, le potentiel du marché des medtechs est vertigineux :
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