Comment les géants du BTP résistent-ils à la crise ? | Construction l'Information | Scoop.it

Depuis 2007, et la fin du cycle haut, les grands groupes de BTP européens s'attachent à préserver leur équilibre financier dans un contexte qui s'est dégradé. Comment ces majors traversent-elles la crise depuis cinq ans ? L'étude menée par l'organisation Mazars apporte des éléments de réponse.


Le secteur de la construction européen a connu, au cours de la dernière décennie, le meilleur, puis le pire. Le haut du cycle a été atteint en 2007, juste avant que la crise financière ne frappe l'année suivante. Depuis, le repli s'est amorcé en Europe, en touchant particulièrement l'Espagne avec une baisse de sa production de 58 % en cinq ans. Le poids du BTP dans les économies a régressé en moyenne de 2 points, n'atteignant plus que 10 % du PIB en 2011. Là encore, la décroissance la plus forte a été enregistrée en Espagne et en Irlande, les deux pays ayant connu l'explosion de leurs bulles immobilières. Le marché du logement résidentiel, qui représente à lui seul près de la moitié de la production du secteur, a également été fortement impacté par la crise : le nombre moyen de logements terminés est passé de 5,7/1.000 habitants à 3,2.

"Malgré ce contexte difficile, les principaux groupes du secteur ont bien résisté, notamment grâce à la diversité de leurs activités", explique Olivier Thireau, responsable du pôle Construction & Ingénierie chez Mazars, l'organisation qui a mené une étude avec le concours d'un analyste financier spécialisé, Charles-Edouard Boissy. Selon leurs observations, les sept "majors" européennes – à savoir Vinci, Bouygues, ACS (Espagne), Eiffage, Strabag (Autriche), Balfour Beatty (Grande-Bretagne) et Skanska (Suède) – auraient opté pour différentes stratégies de développement, initiées avant le déclenchement de la crise.

Un maître-mot : diversification

Deux profils distincts de structures émergent : d'une part, les groupes français qui présentent une diversification significative en dehors de leur activité principale, que ce soit dans la gestion d'infrastructures (Vinci, 15 % du CA ; Eiffage, 16 %) ou dans les médias et télécoms (Bouygues, 25 %). D'autre part, les groupes étrangers, moins diversifiés, mais dont la croissance externe a été liée à une expansion géographique (rachat de l'Allemand Hochtief par ACS) ou à des secteurs d'activité proches de la construction (énergie notamment). Aussi, les groupes ont-ils connu une bonne croissance moyenne de leurs chiffres d'affaires entre 2007 et 2011 : +23 % (+86 % pour ACS grâce à Hochtief, et +39 % pour Strabag). Et avec près de 50 % d'augmentation moyenne, les carnets de commandes se sont également bien renforcés, leur valeur atteignant 15 mois d'activité à la fin de 2011.
Géographiquement, ces sept grands groupes continuent de réaliser l'essentiel de leur chiffre en Europe. "L'internationalisation reste hétérogène", selon l'étude, qui distingue trois profils : les "très européens" (Eiffage, Strabag et Vinci) qui réalisent plus de 90 % de leur CA en Europe, les "internationaux" (Bouygues, Skanska et Balfour Beatty) dont l'activité européenne est supérieure à 55 % et le cas particulier, ACS, qui réalise plus de 60 % de son activité en dehors du Vieux continent, encore grâce à Hochtief, en Amérique et Asie-Pacifique.

Les grands groupes ont su ménager leurs marges, en ne concédant que de faibles reculs : ainsi, entre 2007 et 2011, la marge opérationnelle moyenne est d'environ 3,4 %, ne perdant que 0,9 point sur 5 ans, et la marge nette moyenne s'établit à 3 % (-0,7 % en 5 ans). Et les géants européens du BTP ont également su maîtriser la dégradation de leur structure financière, même si certains d'entre eux présentent une dette significative. Là encore, une certaine disparité existe entre les groupes présentant un ratio endettement net/fonds propres élevé (comme Eiffage et Vinci, en raison de leurs investissements dans les concessions, ou ACS en raison de ses acquisitions) et ceux qui présentent un ratio faible ou nul (Strabag, Skanska, Balfour qui ont eu parfois recours à des augmentations de capital).

Prudents pour l'avenir

Pour les années à venir, les majors se montrent plus prudents. "La crise des dettes publiques (des Etats comme des collectivités) se fera sentir avec une certaine hystérésis (persistance d'un phénomène économique alors que sa cause principale a disparu, NdlR) dans la prise d'affaires et le déficit de croissance générale pourrait affecter la solvabilité de la demande privée", prévient Mazars. Le contexte opérationnel pourrait être plus difficile à partir de cette année, une plus grande rareté des affaires entraînant une baisse conjoncturelle des prix et des marges. Mais des perspectives à plus long terme seraient plus propices : la demande dans le résidentiel est supérieure à l'offre dans des pays développés (France) et des pays émergents et la rénovation du parc ancien est un important relai de croissance. Les demandes d'infrastructures sont également significatives, dans les pays développés (Grand Paris) et les émergents. L'orientation des groupes vers des contrats globaux (conception-construction-entretien-facility management…) à forte valeur ajoutée permettra d'ajouter de la profondeur à leur carnet de commandes. "Cependant, le développement des PPP pourrait ralentir à cause de l'endettement des collectivités publiques", souligne l'étude. Enfin, les grands groupes pourraient s'orienter vers les marchés émergents où l'urbanisation va croissante, mais l'arrivée de la concurrence chinoise pourrait mener à d'âpres luttes.

Les sept leaders européens du BTP :
Vinci : 37 Mrds €
Bouygues : 32,7 Mrds €
ACS : 28,5 Mrds €
Eiffage : 13,7 Mrds €
Strabag : 13,7 Mrds €
Balfour Beatty : 13,2 Mrds €
Skanska : 10,9 Mrds €